Groupes sanguins entre espoir vital et défis logistiques mondiaux majeurs

Groupes sanguins : la carte d’identité biologique qui peut sauver – ou compliquer – une vie. En France, 44 % des donneurs sont de groupe O+ (Établissement français du sang, 2024), mais moins de 7 % appartiennent au rare AB-. Ce déséquilibre pèse sur les stocks de produits sanguins. Plus surprenant : une méta-analyse publiée fin 2023 dans The Lancet révèle que les personnes de groupe A présentent 16 % de risque supplémentaire de thrombose après une infection virale sévère. Les chiffres sont clairs, l’enjeu sanitaire colossal. Parlons-en.

Comprendre le système ABO et Rhésus

Qu’est-ce qu’un groupe sanguin ?

Un groupe sanguin se définit par la présence ou l’absence d’antigènes A, B et de l’antigène D (Rhésus). Découvert en 1900 par Karl Landsteiner à Vienne, le système ABO demeure le socle de la transfusion moderne. Quatre types principaux : A, B, AB, O. À cela s’ajoute le facteur Rh (positif ou négatif) identifié en 1940 par Landsteiner et Wiener grâce au singe rhésus macaque. Résultat : huit combinaisons courantes (A+, A-, B+, B-, AB+, AB-, O+, O-).

En pratique, une transfusion respecte une règle d’or : jamais d’antigène incompatible. Le célèbre « donneur universel » O- n’exprime aucun antigène ABO ni Rh, tandis que le « receveur universel » AB+ possède tous les antigènes, évitant la réaction immunitaire.

Au-delà de l’ABO : plus de 360 systèmes d’antigènes

• Kell, Duffy, Kidd… ces noms évoquent des personnages de film noir, ce sont surtout des systèmes d’antigènes déterminants pour la néonatologie.
• En 2022, l’International Society of Blood Transfusion répertoriait 43 systèmes génétiques totalisant plus de 360 antigènes.
• Une mutation du gène KEL peut provoquer la maladie hémolytique du nouveau-né, d’où l’intérêt d’un dépistage élargi en maternité.

Pourquoi certains groupes sanguins protègent-ils mieux contre les maladies infectieuses ?

La question fascine les épidémiologistes depuis un siècle.

  1. Paludisme : dès 1954, l’équipe du Walter Reed Army Institute démontre que les individus O sont moins sujets aux formes graves de malaria à P. falciparum. Hypothèse : absence d’empilement des rosettes érythrocytaires.
  2. Choléra : en 2010, l’Université de Calcutta observe une létalité 1,5 fois plus élevée chez les groupes O lors d’épidémies au Bangladesh. Antigènes non A/B serviraient de leurres moléculaires.
  3. COVID-19 : étude danoise (NEJM, 2021) sur 473 654 sujets : risque d’infection réduit de 12 % chez les groupes O, sans impact décisif sur la mortalité.
  4. Ulcère gastrique* : la recherche historique d’Alexander S. Wiener (1971) liait déjà le groupe O à une incidence accrue d’ulcères, association confirmée par un large cohortage japonais en 2019.

D’un côté, ces données nourrissent l’idée d’une sélection naturelle des allèles ABO face aux pathogènes. Mais de l’autre, le poids des facteurs environnementaux et socio-économiques relativise l’avantage prétendu d’un groupe sur un autre.

L’évolution des recherches sur les groupes sanguins

Un siècle d’innovations

  • 1900 : première typisation ABO (Landsteiner).
  • 1939 : découverte de l’antigène Kell, stratégie anti-hémolytique néonatale.
  • 1984 : Institut Pasteur séquence le gène FY du système Duffy, vecteur d’avancées contre le paludisme.
  • 2015 : Harvard Medical School teste des enzymes bactériennes capables de convertir A en O. Rendement : 87 % d’antigène A effacé en 60 minutes.
  • 2024 : la start-up canadienne EryTech annonce un essai de phase I utilisant CRISPR-Cas9 pour désactiver le gène RHD sur des cellules souches, créant du sang Rh- « à la demande ».

Données génomiques massives

Le consortium UK Biobank a publié fin 2023 l’analyse de 500 000 génomes complets. Corrélations notables :
• Allèle A1 associé à une légère augmentation (3 %) du taux de cholestérol LDL.
• Allèle B lié à une réponse vaccinale plus forte contre la grippe H3N2.

Quelles implications pour la médecine de demain ?

La cartographie précise des types sanguins dépasse la transfusion. Elle influence l’oncologie, la transplantation et même la médecine de voyage.

  • Thérapies ciblées : anticorps monoclonaux anti-Kell pour prévenir l’anémie fœtale.
  • Médecine d’urgence : drones livreurs de poches O- testés par Zipline au Rwanda (2023).
  • Greffes d’organes : technologie XVIVO permettant de « dé-antigéniser » des reins groupe A pour receveurs O.
  • Personnalisation des vaccins : étude INSERM-Lyon 2022 suggère d’ajuster l’adjuvant selon le Rhésus pour booster la réponse cellulaire.

Points clés à retenir

Sécurité transfusionnelle : maintenir un stock de O- équivalant à 15 % des réserves nationales, objectif OMS 2025.
Dépistage pré-conceptionnel : intégrer Kell et Duffy dans le bilan sanguin des futures mères.
Big data : coupler dossiers électroniques et géolocalisation pour anticiper les pénuries régionales.


« Je me souviens d’un patient AB- admis en 2018 dans le service de chirurgie cardiaque de l’hôpital Bichat. Une valve mécanique à changer, deux litres de plasma indispensables, mais pas une seule poche compatible en Île-de-France ce soir-là. »
Cette anecdote personnelle rappelle que la science des groupes sanguins reste ancrée dans une logistique quotidienne et parfois tendue.

Chaque avancée génétique excite mon esprit de journaliste, mais l’adrénaline du terrain garde le dernier mot. Vous souhaitez approfondir la compatibilité greffe/microbiote, ou comprendre le lien entre HLA et maladies auto-immunes ? Restez avec moi : d’autres enquêtes arrivent, toujours avec la même passion factuelle.